FR – Un marché où se côtoient toujours plus d’acteurs

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La France du non-coté n’en finit plus de voir éclore des first-time funds, tandis que les rapprochements entre équipes restent assez limités.

La France du non-coté, combien de divisions ?

Beaucoup, si l’on se fie aux estimations de Preqin. L’institut de recherche évalue le nombre de gestionnaires basés dans l’Hexagone à un peu plus de 400... L’information mérite sans doute d’être relativisée : combien, dans ce chiffre, y-a-t-il de petits acteurs régionaux, voire locaux, dont la surface financière et l’aire d’intervention sont réellement limitées (mais qui ont une réelle utilité dans certains bassins d’emplois) ? L’agent de placement Reach Capital chiffre à près de 230 les sociétés de gestion disposant d’un agrément AMF (en incluant aussi des structures présentes en private debt et en excluant les fonds d’infrastructure), une bonne vingtaine de plus qu’au début de 2020... Bien entendu, beaucoup d’acteurs ne veut pas toujours dire trop.

Un premier constat de base s’impose : si le nombre d’acteurs du private equity gérant des capitaux pour compte de tiers en France est si élevé, c’est aussi parce que la politique d’investissement des souscripteurs l’autorise... « La plupart des LPs ont mis de côté cette logique de resserrement du nombre de relations avec les GPs qui était la leur il y a quelques années », explique Jean-Christel Trabarel, chez Jasmin Capital. Certes, cela n’empêche pas les institutionnels de faire un peu de tri dans le portefeuille et de ne plus s’engager auprès d’acteurs présentant peu de différenciation avec leurs pairs, pour des résultats moyens. « Mais beaucoup de souscripteurs sont prêts à soutenir des équipes qui apportent une spécificité, que ce soit la connaissance fine d’un secteur ou un angle
d’attaque comme le soutien à la transition énergétique... Cette démarche s’inscrit dans une volonté de prendre de la hauteur dans la construction d’un portefeuille de fonds et de combler certains manques », poursuit Vincent Goupil, le responsable adjoint de l’activité d’agent de placement de Jasmin Capital. L’évolution du positionnement de Bpifrance en la matière est une bonne illustration de cette évolution, puisque la banque publique, qui s’était efforcée, il y a maintenant près d’une dizaine d’années, d’éviter le « saupoudrage » du marché et de pousser la consolidation entre acteurs, a mis à jour sa position en montrant beaucoup de bienveillance envers de nouvelles initiatives qu’elle jugeait pertinentes. La banque publique gardant bien entendu un statut à part, dans la grande famille des LPs...

Cette recherche de diversité ne peut que faire les affaires d’une nouvelle génération de first-time teams qui apportent un peu de sang neuf (et étoffent donc un peu plus les troupes du non-coté en France). Aldebaran, qui a déjà récolté 130 M€ sur les 300 M€ qu’elle cible, s’adresse aux entreprises ponctuellement sous-performantes. Trajan a trouvé son public avec son modèle de « search fund », en atteignant ses 115 M€ d’objectif initial. Yotta Capital a réuni 132 M€ pour investir dans des PME de l’industrie traditionnelle avec un angle axé sur la « décarbonation »... A ces quelques exemples, il faut ajouter ces nouveaux acteurs du growth qui ont pu capitaliser sur le plan Tibi (Jeito, Revaia, Lauxera...). Sans oublier les projets portés par Vivalto Partners et Adagia Partners, dont l’envergure est assez peu courante pour un first-time fund en France. Le premier, créé autour de Daniel Caille, a atteint le stade du premier closing en six mois de commercialisation cet été, avec 450 sur les 700 M€ visés. Il se consacrera à la santé, et plus particulièrement à quatre sous-segments (soins, traitements de spécialité, dispositifs médicaux, services à l’industrie pharmaceutique), tout en ayant pour particularité d’hériter d’une participation contrôlante dans les cliniques Vivalto Santé,
l’enseigne créée par Daniel Caille. Une caractéristique qui est loin d’être un détail, dans un marché où bon nombre de souscripteurs aiment particulièrement investir dans un fonds disposant déjà d’actif en portefeuille – et il s’agit ici d’une participation dont le pedigree a de quoi rassurer les LPs... Adagia Partners, de son côté, a lui aussi érigé la santé comme l’un de ses secteurs de prédilection, aux côtés des services B to B, en se lançant avec l’idée de récolter au moins 750 M€. Ces filières sont les grandes spécialités de deux de ses fondateurs, Sylvain Berger-Duquene (ex-Montagu) pour l’une, et Nicolas Holzman (ex-PAI) pour l’autre. Autre associé à l’origine du projet, Charles-Edouard Bouée, ex-CEO de Roland Berger, apporte son aisance dans les questions d’intelligence artificielle et de Big Data. Adagia fera par ailleurs la part belle au co-investissement, qui pèsera environ 50 % des capitaux que le sponsor déploiera.

Privilégier la croissance interne

En parallèle, et comme dans d’autres zones, le paysage concurrentiel français a vu toute une série de sponsors se muer en plateformes destinées à couvrir plusieurs segments du non-coté, voire des classes d’actifs connexes. Le mouvement a ses raisons commerciales (pour séduire ses souscripteurs) et ses motivations liées à l’intendance (avec la mutualisation de fonctions back et middle office). Il pouvait être tentant d’y voir un vecteur de consolidation entre acteurs du marché affichant une certaine complémentarité. Plusieurs rapprochements emblématiques l’ont illustré. Le plus frappant reste la prise de contrôle d’Idinvest par Eurazeo, qui a permis au holding coté de faire un grand bond en avant dans la gestion pour compte de tiers et de se diversifier
vers le venture, la private debt et le secondaire. L’arrivée d’Apax sur le small cap avec l’absorption d’EPF, celle d’Abénex avec TCR, ainsi que la diversification de Siparex sur le venture avec XAnge ont animé au niveau national une tendance également observable en Région avec un acteur comme UI Investissement, qui a pu mettre la main sur Sofimac ou l’Irpac pour se rapprocher des 2 Md€ sous gestion... Dans quelques cas récents, certains sponsors ont vu une opportunité de diversification en se rapprochant de first-time teams en levée de fonds. Siparex a fait affaire avec Tilt Capital Partners, qui avait vu le jour en 2019, pour se doter d’une stratégie spécifiquement dédiée à la transition énergétique tandis qu’Andera a accueilli dans ses rangs l’équipe fondatrice de Zaist Capital Partners pour en faire l’une de ses nouvelles thématiques, dans les infrastructures vertes.

Mais la croissance externe n’est pas l’option la plus utilisée dans la construction de plateforme. C’est un fait, les sociétés de gestion comptent le plus souvent sur leurs propres troupes, avec éventuellement quelques recrutements à la clé, pour se lancer dans de nouvelles stratégies. Surtout lorsqu’elles sont synonymes de retour aux sources pour un sponsor dont les fonds de la gamme historique, d’une génération à l’autre, voient leur envergure grimper de manière à changer de segment de marché. C’est typiquement le chemin pris par PAI, Astorg ou Antin pour leur nouvelle franchise mid-market, chez Sagard avec la création de NewGen dans le small cap, ou même chez Andera Partners ou Capital Croissance dans le very small cap. Le flot de la consolidation entre acteurs a même tendance à se ralentir nettement. Sparring Capital vient de prendre le contrôle de Pechel : ce dernier, après un échec à lever un nouveau fonds, une diversification ratée vers le small cap et des difficultés autour de la cession des parts de deux figures de la maison, va se relancer chez son confrère, dans l’optique de lui permettre de couvrir des opérations minoritaires d’une taille plus petite que celles de l’ex-Pragma. Autre mouvement sur le marché tricolore, la prise de contrôle du spécialiste des sciences de la vie Kurma Partners par Eurazeo. Il s’agit en quelque sorte de la suite logique de l’acquisition d’Idinvest, puisque le holding coté avait hérité de ce dernier une participation minoritaire dans Kurma. « Il n’y a pas de véritables facteurs “industriels” ou de marché qui expliquent la consolidation entre acteurs du private equity, juge William Barrett, l’un des associés de l’agent de placement Reach Capital. L’adossement d’une société d’investissement à l’une de ses consœurs résulte avant tout de raisons spécifiques, comme, dans les meilleurs cas, le gonflement de l’AuM (ou du cours) ou, dans les moins bons, une transmission managériale qui se passe mal dans une équipe ou de mauvaises performances. » Mais la sophistication toujours plus aboutie du marché des « secondaries » donne davantage de chance à une équipe d’espérer rebondir en solo, sans avoir à se tourner vers l’un de ses concurrents.
« Entre les schémas de “GP-led”, les continuation funds ou d’autres solutions sur mesure, il est possible pour une équipe dans une phase délicate de gagner du temps, parfois avec une “rallonge” pour continuer à investir, en attendant de pouvoir lever un nouveau fonds », poursuit William Barrett.


Le choix d’être « mono-line »

Bien entendu, toutes les sociétés de gestion n’ont pas pour projet de se transformer en plateforme et vivent très bien le fait de rester « mono-line », avec une seule gamme de fonds. Un sponsor comme Latour Capital, qui en dix ans, est passé d’un premier véhicule de 115 M€ à un troisième d’un peu plus de 1 Md€, ne se montre pas vraiment pressé de se lancer dans une autre stratégie d’investissement. C’est aussi le cas d’autres équipes qui ne jurent pas par l’hypercroissance de l’envergure de leurs fonds d’une génération à l’autre, et préfèrent rester dans leur segment. « En théorie, une équipe animée par une poignée de professionnels qui investit des véhicules de 100-200 M€, délivre des performances régulières et signe de temps à autre un investissement exceptionnel peut très bien s’en tirer seule, va même jusqu’à dire un intervenant. Certaines fonctions peuvent très bien être externalisées et l’équation peut fonctionner. » « Les sponsors “mono-
produits” ont l’avantage de la pureté et d’être pleinement concentrés sur une seule tâche, complète un investisseur. Les plateformes, même si elles donnent un sentiment de sécurité aux souscripteurs, donnent parfois l’impression de se lancer dans une course à tout prix à la hausse des actifs sous gestion, et donc à la valorisation des parts de la société de gestion, en vue de leur monétisation. Les quelques introductions en Bourse de GPs intervenues récemment peuvent conforter ce soupçon. »

https://capitalfinance.lesechos.fr/analyses/dossiers/un-marche-ou-se-cotoient-toujours-plus-dacteurs-1350968