Fundraising : des sponsors face à l’envie de sécurité des LPs

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Fundraising : des sponsors face à l’envie de sécurité des LPs

Dans un marché plein d’incertitudes, les LPs privilégient massivement les « re-up » aux nouvelles relations d’affaires. Ce qui ne va évidemment pas sans poser de problèmes.

Le private equity aura connu des moments plus fastes qu’actuellement. Après l’euphorie de 2021, place à une certaine forme d’attentisme, à l’heure où le plus gros des effets de la guerre en Ukraine sur l’économie est sans doute encore à venir. Au premier semestre2022, 150 véhicules seulement auront achevé leur commercialisation dans le monde, selon les données de Preqin. C’est 58 % de moins que sur les six premiers mois de 2021.Le constat est le même en valeur : 100 Md$ ont été amassés à fin juin 2022, moitié moins qu’un an plus tôt. Dans ce tableau, l’Europe n’aura pas été vraiment à la fête. Pas moins de 134 Md€ y avaient été collectés sur les douze mois de l’an passé, toujours selon Preqin. Mais au cours des six premiers mois de 2021, seuls 36 Md€ ont afflué vers les fonds de non-coté de ce côté-ci de l’Atlantique.

L’enseignement des crises précédentes

Les souscripteurs peuvent être parfois sceptiques face à des gérants qui semblent minimiser les pertes de valeur de leur portefeuille à fin juin, esquivant pour le moment les effets du climat actuel…
« Il n’y a pas eu de baisse globale des valorisations dans les NAV de fin juin, même dans la tech. Il y a seulement quelques ajustements d’une ligne ou deux du fait de l’environnement, qui sont compensés par la croissance des autres participations. On ne s’attend pas à un effondrement des NAV dans les mois à venir, même si le sujet de l’inflation est pris au sérieux par les fonds », nuance Cyrille Roustang, responsable du private equity chez AG2R La Mondiale. Pas question, évidemment, pour les LPs de se couper du private equity.
« Au début de l’été, assez nombreux étaient ceux qui souhaitaient marquer une pause dans leurs investissements, remarque Jean-Christel Trabarel, managing partner de l’agent de placement Jasmin Capital.
La plupart ont changé d’avis entre-temps. Tous ont bien conscience que le private equity reste la seule classe d’actifs capable d’afficher des taux de rendement à deux chiffres de manière récurrente. Au-delà des variations marginales, faire du market timing n’apparaît pas à leurs yeux comme une stratégie viable. »
Et si le marché secondaire affiche une santé insolente, c’est dans le cadre d’une logique de gestion dynamique du portefeuille, où il s’agit d’extraire de la valeur de millésimes anciens pour apporter de nouvelles souscriptions à des nouveaux fonds.
« Les LPs ont clairement tiré des enseignements de la crise de 2007-2008 et d’autres épisodes mouvementés tels que celui des dettes souveraines européennes d’il y a une dizaine d’années, glisse William Barrett, associé de l’agent de placement Reach Capital.
A l’époque, ils avaient réduit drastiquement leur allocation. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : ils ont intégré l’intérêt d’avoir une diversification forte par vintage ainsi que la nécessité de continuer à déployer des capitaux dans la classe d’actifs, quel que soit le contexte. »
Sur le papier, les LPs semblent même en avoir encore sous le pied. Des données de Preqin estimaient à 5 % l’allocation-cible médiane au private equity des institutionnels européens par rapport à leur portefeuille d’actifs, en juin 2022. Or, l’institut d’études note qu’elle reste dans la réalité encore un peu en dessous, à un peu plus de 4 %…
Mais les LPs dissimulent mal leur envie de sécurité et de confort. Ils privilégient les sociétés de gestion avec lesquelles ils ont leurs habitudes.
« Pour les acteurs du private equity en levée de fonds, il est très difficile de nouer de nouvelles relations actuellement, reconnaît Vincent Goupil, managing director au sein de l’activité primaire de JasminCapital.
Beaucoup d’institutionnels européens ont choisi, dans leur programme d’allocation, de ne soutenir qu’une ou deux nouvelles sociétés de gestion, guère plus. »
« Avec la prime aux relations existantes, la part des allocations annuelles consacrée aux re-up a fortement augmenté pendant la crise sanitaire,
note Vincent de Boursetty, chez -Colmar Capital, également agent de placement. Il semble que cette tendance ne se soit pas encore inversée. »
« En France, la majeure partie des sociétés de gestion en levées de fonds ont rapidement réalisé un premier closing satisfaisant grâce au soutien de leurs LPs historiques – et éventuellement, pour celles qui opèrent au sein de véritables plateformes, de souscripteurs venus d’autres stratégies maison, observe Nicolas de Nazelle, managing partner chez Triago.
Toutefois, pour nombre d’entre elles, la deuxième phase de levée de fonds s’avère plus longue, tout particulièrement quand il s’agit d’aller chercher de nouveaux clients, notamment à l’international, dans ce contexte plus incertain. »
Rien d’étonnant à ce que la durée de fundraising s’allonge. Preqin témoigne bien du phénomène, à l’échelle mondiale. Entre 2020 et 2022, la part des levées de fonds «éclair » qui auront nécessité six mois maximum dans la totalité des véhicules qui ont atteint leur closing final est passée de 30 à 8 %. Pour 40 % des fonds bouclés cette année, il aura fallu plus de deux ans. Soit deux fois plus qu’en 2020.

Durée moyenne de levées de fonds

Les grands LPs internationaux tendent ainsi à privilégier les gérants large cap pour leurs investissements en Europe. Et pas seulement les plateformes les plus diversifiées.
« Les gérants dits “mono-stratégie” ont enrichi la palette de leur off re. Ils ont pu créer des fonds mid-cap répliquant l’angle d’attaque de leur fonds amiral. Ils ont aussi pu ajouter des fonds de continuation à leur off re, qui sont une autre manière de faire profiter d’un savoir-faire, mais sous le prisme du secondaire et avec une exposition dans un seul actif », relève Jean-Philippe Boige, associé de Reach Capital. Les sponsors davantage positionnés sur le mid-cap, eux, semblent pâtir du changement de stratégie de LPs étrangers, à l’instar de compagnies d’assurances européennes.
« Depuis dix ans, on assiste à une réintermédiation des allocations en private equity de nombreux gros LPs européens, comme les assureurs allemands ou certains gros fonds de pension, qui font appel aux fonds de fonds pour leurs investissements extra domestiques, et tout particulièrement sur les segments “small ou mid”. Cette évolution impacte les relations GP-LP puisque les attentes ou exigences de ces investisseurs sont différentes, notamment en termes de demande de co-invest, ou de secondaire par exemple », constate Nicolas de Nazelle. Pour un fonds de mid-market français qui chercherait à lever de 200 à 700 M€, cette évolution est à même de changer la donne et conduit à un phénomène de repli vers des souscripteurs tricolores, dont le soutien s’avérera insuffisant.

Des « sweeteners » très appréciés

Dans ce contexte, rien n’est laissé au hasard pour séduire les souscripteurs.
« Aujourd’hui, la bataille se joue aussi sur les “sweeteners”. Qu’ils soient des family offices ou des institutionnels, les LPs savent qu’ils peuvent être exigeants et sont de plus en plus demandeurs », poursuit Vincent de Boursetty.
« Le co-investissement est presque devenu incontournable, confirme Jean-Christel Trabarel. Il y a encore peu de temps, beaucoup deLPs en demandaient sans pour autant l’activer. Aujourd’hui, s’ils le font, c’est dans la ferme intention d’user de cette possibilité. »
Rien ne saurait être négligé, côté LPs, pour profiter au maximum d’un millésime 2022 qui pourrait être celui d’un bas de cycle… et se révéler être un pari gagnant sur le long terme pour les souscripteurs.

Xavier Demarle & Thomas Loeillet
Publié le 16 sept. 2022 à 9:28
https://capitalfinance.lesechos.fr/analyses/chiffres-cles/fundraising-des-sponsors-face-a-lenvie-de-securite-des-lps-1788390